Des années, des décennies de mise en œuvre de programmes et de projets de
développement...mais la grande majorité des malgaches restent toujours aussi
pauvre, dans une précarité extrême. Trop de questions se sont posées. Est-ce
que les réponses données ont-elles été les bonnes ? Ou nous-mettons- nous des œillères
sur certaines facettes de notre société
? On dirait que des mécanismes, apparemment inéluctables ont été mises en place
pour garder ces populations dans cet état de précarité.
Hypothèse: le métayage est un des mécanismes d’appauvrissement
en milieu rural. Bien sûr que l’hypothèse est à vérifier.
En quoi consiste ce mécanisme ? C’est un deal qui se fait
généralement entre un citadin, qui sans apporter ni intrants ni semences,
valorise sa propriété d’une ou des rizières ; il va pouvoir bénéficier des
tiers de la récolte en riziculture. Les 2/3 restants reviendront au paysan…[1]
Si en moyenne, la superficie totale des rizières exploitées par un
paysan est de 30 ares, généralement, celui qui s’occupe de ces rizières (« ny
olona mikarakara ny tanimbarinay ») considérées ici, se débrouille pour les
semences. Généralement, il opte sur les semences «zanatany»[2], qu’il a mis de
côté durant l’année rizicole passée. Il faut effectivement une période de
dormance avant qu’une partie de récolte puisse devenir des semences. Les
semences "zanatany" ont l'avantage de résister aux maladies virales du
riz comme le "mavo lavitra"[3]; ils résistent aussi aux manques et
aux excédents d'eau (caprices de la nature). Mais ces semences
"zanatany", contrairement aux "semences améliorées », donnent
peu en rendement[4]. Généralement aussi, ceux qui sont des paysans métayers
sont des paysans sans terre. Ils leur restent peu de marge de manœuvre pour
négocier leur part auprès des propriétaires. D’ailleurs, ces taux de 1/3 pour le propriétaire et 2/3 pour le
paysan est une pratique léguée de génération en génération. C’est devenu un
«fomba fanao» (une pratique) raccourci à « fomba» (une tradition). Aussi
toucher au taux établi revient à toucher au « fomba ». Exercice assez délicate
!
Etant paysan pauvre, il n’a pas ou a très peu de zébus. Donc, il
n'a pas de disponibilité de fumure de parc. A moins qu’il n’en achète et qu’il
y ait ceux acceptent d’en vendre…Et si le coût de la charretée lui est
accessible. Si nous prenons le cas optimiste qu’il ait des zébus et de la bouse
pour la "fumure de fonds", deux zébus ne produiront pas suffisamment
pour les 3 parcelles de 10 ares dont il s’occupe. De cette façon et même avec
la méthode du repiquage en ligne (mais avec des plants dépiqués de 1 mois et
demi), ceci va donner 1800 kg de paddy et au mieux un rendement de 2 tonnes 500
à l’ha. Avec le meilleur rendement cité ci-dessus, pour les 30 ares de
rizières, ceci fait 833,3 Kg de paddy. Divisons ce dernier par 3, pour avoir la
part du propriétaire (277 kg) et celle du paysan (556 kg)…pour tenir l’année
avec une maisonnée de 5,9 personnes[5] !!! Avec des sacs de 60kg, cela lui fait
7 sacs de riz blanchi, sans avoir retiré les semences pour l’année prochaine
!!! Et encore si la saison a été clémente (raha tsara ny taona !)
Le malgache préparant son déjeuner met une demi-mesure de kapoaka
par adulte (en vary maina). Calculant ainsi la ration pour 3 adultes et 3 enfants en bas âge, il prépare ainsi 1 kg
de riz pour le déjeuner et autant pour le déjeuner et le dîner (vary sosoa).
Aussi la part de la relative bonne récolte de 556 kg de paddy, qui fait en
fait 416 kg de riz blanchi, ne tiendra
pour la maisonnée que quelques 200 jours dans l'année soit 6 à 7 mois. L'autre
moitié est donc à assurer autrement (salariat, migration...). On peut dire que
le métayage serait un des points d’ancrage de la "mécanique
d’appauvrissement". Les « mpaka vokatra » seraient un des maillons du
cycle d’appauvrissement.
Nombre de citadins des hautes terres sont des propriétaires «
mpaka vokatra ». Ceux qui n’en font pas partie,
connaissent peu le cas. Mais ceux qui en sont, ne relèvera jamais ce
mécanisme d'appauvrissement des paysans comme on dit en malgache : « tsy hisy
hanaratsy tena toa ny omby atsika » « tsy hisy hilaza tena toa ny omby atsika »
ou encore « hilaza tena toa ny lolo fotsy »…
Avec ce rendement, même avec deux récoltes par an, la famille
paysanne ne peut jamais faire une accumulation primitive de capital. Il a peu
de chance de bénéficier de prêt bancaire ou auprès de nombre d’organismes de
petits crédits, car ce sont des paysans sans terre/ sans apport ni contrepartie
[6], avec toute la volonté d’achat de « zezi-bazaha » 11-22-16, d’ailleurs hors
de sa portée.
Dans le besoin, le paysan se fera « saraka an-tsaha », journalier
en milieu rural. Qu’est-ce ? Entre 1500 Ar et 2000 Ar la journée, café de
10h et déjeuner à la charge de
l’employeur. Que c’est si peu à côté du prix de riz blanchi sur les marchés
locaux ! Mais ils s’y font, faute de mieux…Ils ne savent pas faire autre chose
que de cultiver le riz. Ceux qui, d’aventure, ont pu être des assistants
(«manœuvre») auprès de maçons, ou encore des menuisiers ou autres charpentiers,
peuvent encore se faire engager comme maçon après 3 ou 4 chantiers…[7. ]Et ce
pourrait être une petite issue, mais encore [8] !!!
La « mécanique » s’acharne avec les obligations sociales et
familiales ("famadihana", "famokaran-drazana", sinon des
cas de décès ou autres "sakalava diso"…) Des apports financiers conséquents sont requis là-dessus, même
si l’événement est célébré de la manière la plus simple possible… Le paysan obligé de recourir à des prêts auprès
d’usuriers…à des taux "inimaginables"
L’autre solution est d’envoyer une de ses filles ou garçons en bas
âge, comme « mpiasa » «irakiraka», « mpanampy », « mpitaiza zaza » dans les
familles des milieux citadins[9]. Or l’on sait que 99,9% des malgaches ne
peuvent se payer le « luxe » de salarier un « mpanampy » au salaire minimum d’embauche
établi par la loi : voilà un autre broyage de la "mécanique".
L’étau de referme donc aussi sur ces enfants : déscolarisation,
travaux d’enfant de moins de 15 ans…etc[10]. Adolescentes, très peu
scolarisées, celles-là peuvent également tomber enceintes de leur petit ami, en
ville. Et le cycle se referme…Une autre génération s’en viendra dans les mêmes
conditions… sans espoir de passer dans les mécanismes d’enrichissement, que peu
de gens partagent en plus…
_______________
[1]
Ceci cadre donc au métayage au tiers. Il est dénommé « teloana ». Mais il y a
aussi une autre fraction à la demie (misasaka). C’est le « teloana » qui est le
plus courant sur les hautes terres de Madagascar.
[2]
Semences rustiques
[3]
Le Rice Yellow Mottle Virus ou RYMV, parmi les maladies virales identifiées.
Là, il faudrait carrément bruler le peu de récolte qui en provient.
[4]
Selon les paysans, les semences améliorées sont trop fragiles face aux maladies
virales…et aux intempéries. Avec les avancées des recherches, y-aurait-il des
semences plus résistantes ? On ne peut non plus piquer des semences parmi sa
production propre ; il faudrait en racheter la saison suivante !
[5]
Généralement, il y aurait toujours un dadabe ou/et une nenibe ou/et encore un
dadatoa à la charge d’une famille, sinon des neveux/nièces, considérés comme
des « zanaka tsy omby kibo » ou encore une sœur qui est parmi les « loloha »
[6]
Il est encore acquis que la plupart des IMF (Institutions de micro finance) ne
considèrent pas les certificats fonciers délivrés par les guichets fonciers.
Jusqu’à quand ?
[7]
Selon le maître maçon, les « manœuvres » peuvent à un certain moment, manipuler
truelles, fil à plomb, niveau à eau… et apprendre les rudiments du métier…
[8]
La plupart dans la communauté construisent eux-mêmes leur maison en pisée. Ce
sont ceux qui fréquentent surtout les « riches », qui peuvent décrocher des
chantiers de ce genre…travaillant les briques cuites et les fondations en
moellons, en se faisant recommander par telle ou telle personne.
[9]
Avec la crise en cours (2009-2012), « un tiers des enfants déclare ne plus
aller à l’école depuis cette année, essentiellement parce qu’ils doivent
travailler pour aider leur famille »
http://www.aide-et-action.org/ewb_pages/a/actu4140.php
[10]
Généralement, les « mpanampy » en bas âge, ne perçoivent pas leur salaire. Les
parents viennent en ville pour s’en emparer, en vue d’aider la famille. Au
moins, celle qui est « mpanampy » chez les autres est une bouche en moins à
nourrir. Et ce souvent, sachant que les lois interdisent ces pratiques…