dimanche 23 septembre 2012

Un mécanisme d'appauvrissement : le métayage


Des années, des décennies de mise en œuvre  de programmes et de projets de développement...mais la grande majorité des malgaches restent toujours aussi pauvre, dans une précarité extrême. Trop de questions se sont posées. Est-ce que les réponses données ont-elles été les bonnes ? Ou nous-mettons- nous des œillères  sur certaines facettes de notre société ? On dirait que des mécanismes, apparemment inéluctables ont été mises en place pour garder ces populations dans cet état de précarité.

Hypothèse: le métayage est un des mécanismes d’appauvrissement en milieu rural. Bien sûr que l’hypothèse est à vérifier.

En quoi consiste ce mécanisme ? C’est un deal qui se fait généralement entre un citadin, qui sans apporter ni intrants ni semences, valorise sa propriété d’une ou des rizières ; il va pouvoir bénéficier des tiers de la récolte en riziculture. Les 2/3 restants reviendront au paysan…[1]

Si en moyenne, la superficie totale des rizières exploitées par un paysan est de 30 ares, généralement, celui qui s’occupe de ces rizières (« ny olona mikarakara ny tanimbarinay ») considérées ici, se débrouille pour les semences. Généralement, il opte sur les semences «zanatany»[2], qu’il a mis de côté durant l’année rizicole passée. Il faut effectivement une période de dormance avant qu’une partie de récolte puisse devenir des semences. Les semences "zanatany" ont l'avantage de résister aux maladies virales du riz comme le "mavo lavitra"[3]; ils résistent aussi aux manques et aux excédents d'eau (caprices de la nature). Mais ces semences "zanatany", contrairement aux "semences améliorées », donnent peu en rendement[4]. Généralement aussi, ceux qui sont des paysans métayers sont des paysans sans terre. Ils leur restent peu de marge de manœuvre pour négocier leur part auprès des propriétaires. D’ailleurs, ces taux de  1/3 pour le propriétaire et 2/3 pour le paysan est une pratique léguée de génération en génération. C’est devenu un «fomba fanao» (une pratique) raccourci à « fomba» (une tradition). Aussi toucher au taux établi revient à toucher au « fomba ». Exercice assez délicate !

Etant paysan pauvre, il n’a pas ou a très peu de zébus. Donc, il n'a pas de disponibilité de fumure de parc. A moins qu’il n’en achète et qu’il y ait ceux acceptent d’en vendre…Et si le coût de la charretée lui est accessible. Si nous prenons le cas optimiste qu’il ait des zébus et de la bouse pour la "fumure de fonds", deux zébus ne produiront pas suffisamment pour les 3 parcelles de 10 ares dont il s’occupe. De cette façon et même avec la méthode du repiquage en ligne (mais avec des plants dépiqués de 1 mois et demi), ceci va donner 1800 kg de paddy et au mieux un rendement de 2 tonnes 500 à l’ha. Avec le meilleur rendement cité ci-dessus, pour les 30 ares de rizières, ceci fait 833,3 Kg de paddy. Divisons ce dernier par 3, pour avoir la part du propriétaire (277 kg) et celle du paysan (556 kg)…pour tenir l’année avec une maisonnée de 5,9 personnes[5] !!! Avec des sacs de 60kg, cela lui fait 7 sacs de riz blanchi, sans avoir retiré les semences pour l’année prochaine !!! Et encore si la saison a été clémente (raha tsara ny taona !)

Le malgache préparant son déjeuner met une demi-mesure de kapoaka par adulte (en vary maina). Calculant ainsi la ration pour 3 adultes et  3 enfants en bas âge, il prépare ainsi 1 kg de riz pour le déjeuner et autant pour le déjeuner et le dîner (vary sosoa). Aussi la part de la relative bonne récolte de 556 kg de paddy, qui fait en fait  416 kg de riz blanchi, ne tiendra pour la maisonnée que quelques 200 jours dans l'année soit 6 à 7 mois. L'autre moitié est donc à assurer autrement (salariat, migration...). On peut dire que le métayage serait un des points d’ancrage de la "mécanique d’appauvrissement". Les « mpaka vokatra » seraient un des maillons du cycle d’appauvrissement.

Nombre de citadins des hautes terres sont des propriétaires « mpaka vokatra ». Ceux qui n’en font pas partie,  connaissent peu le cas. Mais ceux qui en sont, ne relèvera jamais ce mécanisme d'appauvrissement des paysans comme on dit en malgache : « tsy hisy hanaratsy tena toa ny omby atsika » « tsy hisy hilaza tena toa ny omby atsika » ou encore « hilaza tena toa ny lolo fotsy »…

Avec ce rendement, même avec deux récoltes par an, la famille paysanne ne peut jamais faire une accumulation primitive de capital. Il a peu de chance de bénéficier de prêt bancaire ou auprès de nombre d’organismes de petits crédits, car ce sont des paysans sans terre/ sans apport ni contrepartie [6], avec toute la volonté d’achat de « zezi-bazaha » 11-22-16, d’ailleurs hors de sa portée.

Dans le besoin, le paysan se fera « saraka an-tsaha », journalier en milieu rural. Qu’est-ce ? Entre 1500 Ar et 2000 Ar la journée, café de 10h  et déjeuner à la charge de l’employeur. Que c’est si peu à côté du prix de riz blanchi sur les marchés locaux ! Mais ils s’y font, faute de mieux…Ils ne savent pas faire autre chose que de cultiver le riz. Ceux qui, d’aventure, ont pu être des assistants («manœuvre») auprès de maçons, ou encore des menuisiers ou autres charpentiers, peuvent encore se faire engager comme maçon après 3 ou 4 chantiers…[7. ]Et ce pourrait être une petite issue, mais encore [8] !!!

La « mécanique » s’acharne avec les obligations sociales et familiales ("famadihana", "famokaran-drazana", sinon des cas de décès ou autres "sakalava diso"…) Des apports financiers conséquents sont requis là-dessus, même si l’événement est célébré de la manière la plus simple possible… Le paysan  obligé de recourir à des prêts auprès d’usuriers…à des taux "inimaginables"

L’autre solution est d’envoyer une de ses filles ou garçons en bas âge, comme « mpiasa » «irakiraka», « mpanampy », « mpitaiza zaza » dans les familles des milieux citadins[9]. Or l’on sait que 99,9% des malgaches ne peuvent se payer le « luxe » de salarier un « mpanampy » au salaire minimum d’embauche établi par la loi : voilà un autre broyage de la "mécanique".

L’étau de referme donc aussi sur ces enfants : déscolarisation, travaux d’enfant de moins de 15 ans…etc[10]. Adolescentes, très peu scolarisées, celles-là peuvent également tomber enceintes de leur petit ami, en ville. Et le cycle se referme…Une autre génération s’en viendra dans les mêmes conditions… sans espoir de passer dans les mécanismes d’enrichissement, que peu de gens partagent en plus…
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[1] Ceci cadre donc au métayage au tiers. Il est dénommé « teloana ». Mais il y a aussi une autre fraction à la demie (misasaka). C’est le « teloana » qui est le plus courant sur les hautes terres de Madagascar.

[2] Semences rustiques

[3] Le Rice Yellow Mottle Virus ou RYMV, parmi les maladies virales identifiées. Là, il faudrait carrément bruler le peu de récolte qui en provient.

[4] Selon les paysans, les semences améliorées sont trop fragiles face aux maladies virales…et aux intempéries. Avec les avancées des recherches, y-aurait-il des semences plus résistantes ? On ne peut non plus piquer des semences parmi sa production propre ; il faudrait en racheter la saison suivante !

[5] Généralement, il y aurait toujours un dadabe ou/et une nenibe ou/et encore un dadatoa à la charge d’une famille, sinon des neveux/nièces, considérés comme des « zanaka tsy omby kibo » ou encore une sœur qui est parmi les « loloha »

[6] Il est encore acquis que la plupart des IMF (Institutions de micro finance) ne considèrent pas les certificats fonciers délivrés par les guichets fonciers. Jusqu’à quand ?

[7] Selon le maître maçon, les « manœuvres » peuvent à un certain moment, manipuler truelles, fil à plomb, niveau à eau… et apprendre les rudiments du métier…

[8] La plupart dans la communauté construisent eux-mêmes leur maison en pisée. Ce sont ceux qui fréquentent surtout les « riches », qui peuvent décrocher des chantiers de ce genre…travaillant les briques cuites et les fondations en moellons, en se faisant recommander par telle ou telle personne.

[9] Avec la crise en cours (2009-2012), « un tiers des enfants déclare ne plus aller à l’école depuis cette année, essentiellement parce qu’ils doivent travailler pour aider leur famille » http://www.aide-et-action.org/ewb_pages/a/actu4140.php

[10] Généralement, les « mpanampy » en bas âge, ne perçoivent pas leur salaire. Les parents viennent en ville pour s’en emparer, en vue d’aider la famille. Au moins, celle qui est « mpanampy » chez les autres est une bouche en moins à nourrir. Et ce souvent, sachant que les lois interdisent ces pratiques…