vendredi 6 juillet 2012

Gouvernance et éducation...: opposition/opinions



La gestion des affaires publiques est encore très centralisée à Madagascar. Les relents de la gestion du temps des royaumes d'antan sont encore perceptibles. Tous ceux qui ont accédé au pouvoir (quel que soit le mode d'accession : élections restreintes, élections aux suffrages universelles, aggiornamiento, coup d'état...) ont toujours considéré qu'ils peuvent tout faire, car ils sont maîtres du pouvoir ("tompon'ny fahefana").

Quoiqu'ils fassent, ils ont toujours raison, même en flagrantes contradictions avec les lois et textes réglementaires en vigueur. Les institutions suprèmes telles la Haute Cour Constitutionnelle ou encore le CSI ou Conseil Supérieur des Institutions de la toute première république, gardiens des Lois Fondamentales, arrivent à s'incliner devant ces détenteurs de pouvoir... jugeant peut-être en leur âme et conscience, mais éclipsant cavalièrement certaines dispositions génantes.

Ce qui s'est passé en 2009 rappelle ce qui s'est déjà passé en 1972 : quoique les articles des Constitutions en vigueur aient disposé de la prise en charge du président du Sénat, en cas d'indisponibilité du Président de l'Exécutif, les hommes de loi ont trouvé les moyens de légaliser des décisions d'une flagrante inconstitutionnalité...

La corruption certainement aidant, les chantages ne sont pas à exclure car certains groupes détiendraient des dossiers sur les comptes personnels des juges. Le système est connu, mais tout le monde feint de ne pas être au courant. La crainte d'un déballage en public ou d'une remise sur tapis de ces dossiers est telle des rênes les retenant de se positionner en "opposants", contre les tous puissants détenteurs de pouvoir ("manampahefana"), notamment ceux de l'exécutif

Ce que l'on a dénommé "opposants" ("mpanohitra") durant l'époque des royaumes sont particulièrement ceux qui se positionnent différemment par rapport aux décisions des regnants.  L'on connaît ce qu'ils sont advenus.(1) 
 

Au sein de la populace, (ny ambanilanitra), ont été classés "mpanohitra", ceux qui ne participent pas à l'acceptation générale, lorsque le "lohavohitra" haranguant le public  devant le monarque, pose la question "N'est-ce pas ô peuple ?". L'unanimité de la réponse positive est requise. Ceux qui osent s'en départir ou ceux qui ont des objections sont considérés comme des opposants "mpanohitra".

En fait, la royauté ne digère pas la diversité des opinions. Les "mpanohitra" ou opposants sont susceptibles d'être arraisonnés, mis aux fers(gadra) (2) avec ou sans procès (qui, même tenu n'est nullement équitable ni juste),  exilés ou exécutés... Tout cela fait juste une centaine d'années !


Mais peu de choses ont changé depuis! Aussi, actuellement encore, les dirigeants ne conçoivent pas encore que certaines personnes soient classées "mpanohitra"/opposants ou se classent comme tels...: les traitements d'antan leur sont réservés: arraisonnements, emprisonnement (famonjana) avec ou sans procès (qui même tenu, n'est nullement ni juste ni équitable ),  mis en exil ou exécutés... Les pratiques n'ont nullement changées !

Malheureusement, parmi ce que l'on dénomme "peuple", personne  n'ose se prononcer contre ces pratiques. La "sagesse" dit-on est de se taire ! Sinon, tu es un pro- (mpomba) d'un opposant, ce qui est vraiment répréhensibles; si d'aventure, tu te positionnes pour l'opposant, "tu te crois sage" (mianakendry), avec tout ce que cette expression sous-entend (tu es plûtot "dingue"/"félé", si jamais tu oses...sachant quels traitements t'attendent)

Pour la communauté, l'individu, de surcroît jeune, ne doit avoir des opinions. C'est l'apanage des "anciens", des "zoky, ray aman-dreny" ("Izay manan-joky afaka olan-teny...sy hevitra". Trad litt., Tu laisses aux aînés, aux plus âgés que toi, prendre parole; tu te tais). Chez les antemoro, il faut que tu sois un "mâle" et dans la classe d'âge des "garageha" pour pouvoir participer à des décisions au sein du "tranobe" (3), lieu des grandes décisions communautaires... Or souvent, ces aînés ne consultent personne. Ils font valider leurs positions, leurs opinions. Autrement, tu t'opposes à eux, tu as droit à la question : "Oses-tu donc me contredire ? "mahasahy manohitra ahy izany ialahy ?" une phrase d'interpellation souvent entendue. 


Chez les antambahoaka, les ampanjaka osent dire "rom-boay io, ka izay mahasahy homana", (Litt., c'est un bouillon de caïman, oses-tu en prendre ? A tes risques et périls) à l'intention de ceux qui ne rejettent ni abandonnent leurs enfants jumeaux, considéré s comme "sandrana" (fady ou tabou sans rémission aucune). Ceux qui osent effectivement sont rejetés (avec l'assentiment de ces ampanjaka) de la communauté : interdits de fréquenter même les alentours du "tranobe", interdits de "sambatra" (circoncision communautaire)... interdits d'être ensevelis dans le tombeau familial... comble de situation communautaire et de l'exclusion!

Les malgaches n'ont pas appris à accepter ni la diversité des opinions et ni les choix individuels. 

Même en milieu scolaire, nous, qui avions fréquenté l'école, nous nous souvenons bien que les débats, l'expression et échanges d'appréciations n'ont pas tellement cours. Le "silence y est d'or" ! On entendait une mouche voler dans "une classe bien tenue" par le maître ou le professeur. On se tait. On écoute. On enregistre ! Les débats ouverts sont considérées comme de pures pertes de temps, selon de nombreux éducateurs. Les thématiques inscrits aux programmes officiels importent plus; et plus on débate, l'on risque de ne pas boucler "ces" programmes. "Refilez aux élèves les "vérités" et "comment les formuler", cela suffit amplement ! disent-ils. Les enseignants leur donnent même comment défendre ces "vérités". Ce sont les pratiques dans les fameux "exercices types et corrigés types" très prisés par les enseignants. Parmi ces élèves, ceux qui arrivent à MEMORISER et RESTITUER ces "leçons à apprendre" à leurs enseignants et autres interrogateurs sont sanctionnés de "bonnes notes", de diplômes !!! Autrement, ils ramassent les mauvaises appréciations allant jusqu'au redoublement de classe sinon l'exclusion car qualifiés de "maditra" (têtus, incorrigibles, etc....) Les récalcitrants, non conseillés par leurs parents sont qualifiés d' "apprentis- sages" (niana-kendry)  ou encore de "grosses têtes, incorrigibles" ("bebe saina"). 

La majorité se retient donc d'avoir des opinions personnelles, s'interdit de les exprimer. Les sujets de débats ne font pas partie des méthodes pédagogiques appliquées. L'on forme ainsi des "béni oui-oui" sur la base de dictons populaires, peu connus car dits sous cape tels "tsy mbola nisy namira loha bemanaiky" (Personne n'a jamais fracassé des têtes qui acquiècent) ou encore "loha manaiky tsa mba vaky" (une tête qui acquièce n'est jamais fracassée ni par les adultes ni les détenteurs de pouvoir) ! De cette façon, tu ne ramasses aucune remarque déplaisante/ rabrouements; dis "oui", quoique tu n'en es ni convaincu, ni prêt à les appliquer... Comment peux-t-on qualifier cela ?

Aussi, la "démocratie" ? C'est encore pour le moment, un grand mot ! S'il sous entend la liberté de pensée, la liberté d'expression, la liberté de presse...et autres lbertés dites fondamentales, la plupart les acceptent formellement pour éviter d'en débattre ("Ekena fotsiny mba tsy hifamaliana"). L'acceptation quoique publiquement formulée, ne signifie guère engagement d'une mise en pratique ! De la pure forme ! De l'apparence ! Du "politiquement correct". La "sagesse" est d'accepter leurs opinions, positionnements, décisions... à moins que tu aies du temps à perdre ! A moins que tu veux des grabuges ! ("mila raharaha"). C'est le début de la construction de l' "illusion participative" relevée par Chantal Blanc Pamard (4).

La République ? Idem. Tout ceci sont des mots, creux pour eux; d'ailleurs qui leur en parle d'une manière claire ? Qu'importe les mots, c'est toujours le même "fanjakana" (Etat) d'antan... T'es toujours récriminé si jamais tu oses t'opposer à ce qu'"ils" disent  !!i

A mon avis, des études plus approfondies méritent d'être menées avec ses dimensions anthropologiques, historiques et autres....Sinon, nous serions toujours en train de nous accrocher à un système, une pédagogie, des approches qui à vue d'oeil ont fait faillite. Nous le savons ! Ce que l'on entreprend ne sont que des  "menaka ahoso-bato" (huile ointe à un bloc de rocher dont on attend vainement une date d'accouchement. Un rocher n'accouche pas, bien sûr) . Sinon, pour nos actions,  j'utiliserais l'expression "mangahazo atora-kisoa" pour les qualifier!!! (ce n'est qu'une racine de manioc jetée en pature aux cochons, au lieu d'éloigner ceux-ci des cultures) 

Ces études relatives à chaque communauté d'intervention vont amener à des types de "focus groups" sinon l'on obèrera des points de vue et de réelles appréciations des vécus, des visions d'avenir... Le sérieux des travaux est requis avec le temps qu'il faudrait pour "ouvrir d'abord le coeur" (acquérir leur disponibilité de vraiment se confier) avant d'expliquer, de "raisonner", de comprendre ensemble les "contraintes" des uns et des autres (aussi bien les personnes, que les groupes ou les institutions)...

Cela prendra certainement du temps. Effectivement, l' "accélération" requise dans un pays ou le "moramora" a été encore de mise est à prendre par des pincettes...

Dans les associations, l'apprentissage d'une vie démocratique doit être réellement vécu et non un chèque en blanc à donner au "président", qui non seulement représente les membres, s'occupe des relations avec l'extérieur, administre toute la documentation administrative, gère les finances... mais définit aussi tout positionnement tout seul...au risque de se tromper....

Dans les écoles, les pratiques pédagogiques sont à revoir (urgemment) avec des accents sur la scolarisation, la formation d'enseignants de qualité, des supervisions sérieuses...et une véritable éducation civique, pratique, commençant par une meilleure connaissance et référence à la Constitution, à la Déclaration Universelle des droits de l'homme, les lois et règlements...

C'est ce qui, espérons-le, se déteindra au fur et à mesure sur la vie communautaire, et éventuellement dans la Commune...la structure administrative la plus proche de la communauté.

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(1) Dans le royaume merina on connait le sort attribué aux frères de Ilaidama, sort de Rabodolahy, fils adoptif d'Andrianampoinimerina issu de son "vadibe" Rambolamasoandro ,  sort du frère de Rabodolahy, le nommé Rakotovahiny, sort de Ramavolahy dit "Somotra" lequel est le fils aîné de sa femme Ramanantenasoa d'Alasora, tous mis à mort pour avoir refusé les divers choix du souverain.

On se rappelle aussi des assassinats organisés contre ceux qui ont voulu mettre sur le trône, en remplacement de Radama Ier, Razanakinimanjaka (dite aussi Iketaka ou princesse Raketaka) fille de Radama avec la princesse sakalava Rasalimo (laquelle est la fille du roi sakalava du Menabe, Ramitraho) ou le prince Rakotobe, neveu du roi...selon les dernières volontés du roi défunt : "c'est Raketaka qui règnera, secondée par Rakotobe". Ramavo, première femme du roi a eu raison des autres, en les éliminant tous : Rambolamasoandro, mère de Radama I, sa soeur Rabodosahondra, Ratefinanahary son beau-frère et époux de Rabodosahondra, Ralala son fidèle ami et Grand Juge, son cousin  Ramananolona Gouverneur de Fort Dauphin. Rafaralahiandriantiana son beau-frère, époux de Ravaozokiny, Gouverneur de Foulpointe, Razafinintaolo soeur de Rasata et petit neveu du roi,. Seul,  Ramanetaka, autre cousin du roi (et frère de Ramananolona), Gouverneur à Majunga, a pu s'enfuir à Anjouan avant l'arrivée des tueurs. Voir Moise Ramilamintsoa.- Taniko : Morceaux d'histoire et généalogie.- 
"http://takelaka.dts.mg/actionmd/taniko/monarchie3.htm"


(2) Gadra ombifohy, désigne les fers courts individualisés encerclant le cou, les deux mains et les deux pieds, reliés entre eux de façon à garder l’individu recroquevillé sur lui-même [cf. Weber, également Abinal et Malzac, ombifohy, action de lier fortement les criminels les pieds et les mains ensemble] Voir Firaketana cité par Ignace Rakoto
"http://www.taloha.info/document.php?id=123"


(3) Les groupes d'âge identifiés sont les "mavotroky" ou encore "mavotankibo" (des jeunes enfants, en fait), puis les "beminono" (entre 15 et 21 ans), ensuite les "ampanompo" (entre 22 et 30 ans), puis les "andriambaventy" (jusqu'à 45 ans)...Il faut que tu aies plus de 45 ans pour être "garageha" et commencer à pouvoir prendre parole... Voir B Chandon Moet.- Vohimasina. Village malgache.- Nouvelles Editions latines.-

(4) Chantal Blanc Pamard- Emmanuel Fouroux.- L'illusion participative. Exemples ouest malgaches.- Presses de Sciences Po Autrepart 2004/3 n°31 pp 3-19


3 commentaires:

  1. Je n'ai pas pu résister de relever cette citation ci que j'ai récoltée surhttp://madagoravox.wordpress.com/2012/04/22/rencontres-du-film-court-2012-diificultes-du-pays-et-echec-malgache/

    "Il n’y a pas de déficit de prise de parole dans notre société. Par contre, il y a un déficit de compréhension. Or la vie intellectuelle se conçoit toujours comme si elle était définie par cette fonction de résistance, de prise de parole, d’alerte. Et elle oublie que son véritable travail, c’est le travail d’analyse, c’est un travail de compréhension de la réalité..." Pierre Rosenvallon

    A méditer

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  2. En citant la place des "mâles" dans la communauté antemoro, citons aussi un extrait du mémoire de Francis Zafindrandremitambahoaka Marson, soutenu à l'Université de Perpignan pour son Diplôme d'étude approfondie en 2003, intituté "La mutation du droit du mariage dans la vallee du fleuve Matitanana: du droit coutumier au droit d'inspiration musulmane", parlant de la place de la femme:

    " Les nouveaux nés sont les "zazakeli", sans distinction de sexe. Puis, les filles passent au statut de « sarabanadika » ou fillettes qui ont pour rôle d'aider leurs mères. Nubiles, les filles deviennent « somondrara ». Ce sont elles qui sont les victimes d'enlèvement [mariage traditionnelle par rapt acceptée]. Les « zazalahy » sont les ravisseurs. Mais le statut de femme marié ne change en rien l'importance sociale de la femme. Il faut attendre qu'elle ait des enfants pour qu'on l'appelle « tsarbiteza ». Plus elle a d'enfants , plus elle est admirée par les « zazalahy » qui rêvent de femmes fécondes. Son importance sociale reste toujours figée jusqu'à ce qu'elle ait des petits enfants. Les indigènes l'appellent «viavi-be». C'est parmi les «viavi-be» qu'est choisi le chef des femmes qui ont une importance sociale très grande dans la société matriarcale autochtone."
    http://www.memoireonline.com/07/09/2280/m_La-mutation-du-droit-du-mariage-dans-la-vallee-du-fleuve-Matitanana-du-droit-coutumier-au-droit-d12.html

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  3. Je n'ai pas pu résister de "piquer" une présentation de M Pierre Rosenvallon sur le site de CODESRIA http://www.codesria.org/spip.php?article1580&lang=en, que je reproduis ci-après
    "Pierre Rosanvallon est Professeur au Collège de France (Chaire d’Histoire moderne et contemporaine du politique), et Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). En parallèle d’une activité militante qu’il n’a jamais cessée, il mène aujourd’hui des travaux sur les transformations de la démocratie contemporaine. Son dernier ouvrage "La société des égaux" questionne : la démocratie peut-elle survivre comme régime politique quand elle n’existe plus, ou si peu, comme société ? A quel niveau d’inégalités le contrat démocratique sera-t-il définitivement miné, préparant le terrain au premier autocrate venu ? En comparant les systèmes occidentaux et africains, et en s’appuyant sur des modèles concrets, il analysera les mutations en cours et les formes de retournement de la démocratisation contre elle-même"

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