lundi 25 mars 2013

L'Etat et les ruraux ('article en soufffrance)


Les aléas de la vie, santé, autres travaux se présentant comme opportunités, nous ont en fait handicapé dans un partage régulier de nos idées, réflexions diverses. Nous nous réjouissons tant pourtant pour les feed back encourageants des amis lecteurs, pour nos articles. Nous en sommes reconnaissant. Mais ce n'est pas pour autant que les productions ont arrêtés. Nous vous en partageons déjà une. Bonne lecture


Une étude que nous avions menée sur « les stratégies et politiques de développement territorial » dans l’histoire de deux ou trois derniers siècles à Madagascar a rapporté notamment des exemples des bases historico- anthropologiques de la gestion des territoires à Madagascar. Les faits historiques rapportés, certes partielles mais couvrant des faits avérés notamment sur une grande partie de l’île, ont fourni des explications sur les processus de gestion des différents « territoires »  avec les rôles tenus par les différents acteurs.

Cette première étude, en se référant notamment aux études anthropologiques, historiques et géographiques récentes, telles celles des FAUROUX, BARE, GOEDEFROIT, CONDOMINAS, LOMBARD, ESOAVELOMANDROSO, MARIKANDIA Mansaré, KOTO, RAISON-JOURDE, BALLARIN, RAKOTO RAMIARANTSOA, M et Mme RABEARIMANANA, DOUESSIN …nous a aussi offert non seulement des « photographies» sur les relations sociales établies, avec les rôles de ces acteurs dans un passé récent: les « hazomanga », les « ombiasa », les « mpanarivo », les « mpiavy », les « ziva », les « ampanjaka » ou autres «ndrenony »… Ces personnalités essentielles dans les communautés tiennent encore leurs places, jouent encore leurs rôles dans ces communautés. Des pratiques et des conceptions (du monde, des relations interpersonnelles et inter-groupes) ont toujours cours… Sur l’importance des conceptions et structures « traditionnelles », citons en particulier, l’interpellation à Mahajanga de El Hadj SOUDJAY Bachir Adehame, historien et néanmoins académicien « le développement du Boeny ne peut se faire sans le fanompoambe[1] !», ou encore la remarque de l’humoriste Goetlib, dans une pointe d’humour, mais remarque non moins sérieuse, lors d’une émission sur RDJ énonçant « revenons à notre orientalité ! »[2]

Au-delà de ces considérations, l’histoire a démontré que généralement, les communautés ont essayé de refuser (avec bonheur ou non selon les cas) les immixtions extérieures à elles, à leurs organisations propres. Que ce soit l’expansion des autres clans ou autres chefferies et royaumes co-existants, les acceptations, les « allégeances » ont souvent stabilisé les relations au sein des communautés par des cérémonies traditionnelles notamment les fatidrà et les alliances matrimoniales. La colonisation française et son administration n’ont pas été acceptées, en général, sauf dans les royaumes du nord dont la recherche de protection auprès des français avant l’expansion du « Royaume de Madagascar ». Pour déduire que les incursions des « étrangers » ont été presque toujours rejetées.

En tout cas, le constat est frappant et sans équivoque : A part les grandes transformations/ aménagements des temps des grands souverains, de ceux des autorités coloniales, des grands projets menés force d’aides financières et techniques de la coopération internationale, de crédits contractés par l’Etat auprès des Institutions de Bretton-Woods…, les constructions et réalisations des ONG locales ou/et étrangères,  relativement peu de cas montrent des changements significatifs dans l’espace vécu de la majorité des malgaches, des ruraux particulièrement. Certes, des avancées sont perceptibles sur quelques sites, mais celles-là sont relativement isolées, notamment dans l’habitat, dans l’accès à l’eau potable, dans l’assainissement, l’accès à la prévention des maladies et des soins de santé, dans l’éducation scolaire, dans les techniques de production et d’élevage…dans les échanges. Or dans le monde actuel, ces changements attendus, sont des « références » indéniables, « acquises » pour apprécier ce que c’est le développement[3], la « réduction de la pauvreté ».

Ces communautés n’ont pas vécu en vase clos. D’une manière ou d’une autre des « éléments  extérieurs » ont établi des relations avec elles : les « mpiavy », les « ziva », les «mpifatidrà », les « vazaha », les « fonctionnaires », les « kinanga », les «développeurs», les « projets », les « karana » et autres « sinoa » dans le commerce, les [petits et grands] colons, les sociétés internationales…

Mais la pauvreté, citée et reconnue dans les communautés semble être aussi permanente.  Quelles sont donc les rôles joués par ces différents acteurs dans cette situation ? Quelles relations entre ces acteurs, auraient été les « blocages », les « contraintes ». Qu’est-ce qui auraient « flanché », quelles auraient été les « maladresses », malgré les différents programmes de développement organisationnel et institutionnel, de développement des capacités, les capacitations de groupes … menés depuis plusieurs décennies ?




En fait, en nous référant sur une des études de MOINE Alexandre, le territoire est une matérialisation de l’étendue d’un pouvoir[4], c’est le témoin d’une appropriation à la fois économique, idéologique et politique de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité[5], c’est un espace social, un espace vécu[6]

Toutefois, une première conclusion (est-ce hâtive ?) peut être tirée des situations passées et présentes en ce qui concerne les milieux ruraux et les milieux qui ont refusé les « procédés d’assimilation » des « étrangers » : l’Etat, quelque soit sa forme de représentation, est plus rejeté qu’accepté, d’une manière comme une autre, par ces milieux.

Les raisons de ce rejet peuvent être retrouvées dans les pratiques adoptées par les différents « représentants » successifs de ces « fanjakana», dans l’histoire vécue de ces communautés.  Citons en exemple:
  •         la fuite/exode des antanosy suite à leur défaite face à l’installation du Gouverneur merina Ramananolona XI Voninahitra, cousin du roi Radama 1er dans l’Anosy ;
  • ·       les ressentiments des sakalava vis-à-vis de l’Etat hova (puis de l’Etat colonial), à cause des mesures de confiscation des reliques royales « fitahia » ou le symbole «hazomanga vy », très importants de la dynastie Volafotsy ;
  • ·         le rapt et exécutions de princes masikoro par l’Etat monarchique merina malgré le fatidrà contracté par Tompoemana avec le Prince Ramahatra ;
  • ·     l’assassinat par le Commandant Gérard de l’armée coloniale, de Ampanjaka Toera et le massacre de la population à Ambike, le 29 et 30 août 1897, durant la colonisation ;
  • ·         les confiscations des terres communautaires, par les colons français à l’instar de ce que rapportait Nicolas PESLE à Belamoty, village tanosy de l’Onilahy ;
  • ·         les exactions pour le paiement des impôts de capitation et les impôts sur les bovidés, les travaux forcés et « 30 andro » imposés par l’Etat colonial ;
  • ·        le SMOTIG (Service de la Main d’œuvre pour les Travaux d’Intérêt Général), fixé par décret du 3 juin 1926, créé par le gouverneur général Marcel Olivier en vue de procurer la main-d'œuvre aux travaux publics. Il impose aux jeunes Malgaches une période de trois ans, puis deux ans, de travail forcé. (…) Les travaux imposés sont extrêmement pénibles. les répressions, tueries et exécutions sommaires durant les événements de 1947 ;
  • ·         les gardes à vue/ détentions administratives pour les présumés coupables avant jugements des tribunaux ;
  • ·       les emprisonnements et exils effectifs soit après des jugements de tribunaux injustes, soit suite à des délations sans fondements (« toroka » et/ou «tondro-molotra ») …
  • ·         les rafles de travailleurs effectuées dans la province de Moramanga tout au long des années 1917 à 1920 pour la construction du chemin de fer M.L.A. (Moramanga - lac Alaotra), dans les régions d'Antsirabe et Betafo, les gens d'abord réquisitionnés en mai-juin 1919 comme porteurs pour 2 voyages de Betafo à Miandrivazo, puis expédiés de force sur les chantiers de route et de reboisement sur le domaine forestier du chemin de fer, ce sont des corvées dénommées « les 30 jours », bien qu'elles aient duré en moyenne de 40 à 60 jours (au moment où les susdits cultivateurs se préparaient à labourer leurs rizières...). Un grand nombre furent expédiés aux chantiers de chemin de fer où la plupart restèrent 60 à 80 jours ". (…) sinon d’autres auraient fait ainsi 150 jours de corvée en 1919, pour des salaires dérisoires[7].

·         Mais il y eut aussi 
  •        les conscriptions des jeunes gens pour l’armée ;
  • ·         toutes les gabegies, abus de pouvoir, cas de népotismes, concussions et corruptions,
  • ·         les trafics illégaux et illicites avérés mais pratiqués au grand jour ;
  • ·         l’impunité dont jouissent des «autorités », leurs familles et proches parents ou amis…


Parmi les "élites" formés par la colonisation:
des médecins et des enseignants

A l’indépendance, en 1960, les attentes ont été grandioses, libérés de cette période coloniale, douloureuse. Frantz Fanon s’est bien fait le porte-voix des paysans quand il a décrit (le colonisé, notamment ceux admis dans l’administration): « Le regard du colonisé sur la ville du colon est un regard de luxure, un regard d’envie. Rêves de possession. Tous les modes de possession : s’asseoir à la table du colon, coucher dans le lit du colon, avec la femme si possible [8]». Voir ainsi les nouvelles autorités de Madagascar indépendant, qui ont repris en grande partie, les méthodes des colons, à la place des colons, avec les airs des colons, les répressions et exactions des colons…comme ils les ont appris d’ailleurs dans les écoles des colons[9]….

Et les années 72-75, les années 91, les années 2002, les années 2009 ont toujours été celles des attentes pour un meilleur bien-être mais apparemment, les situations empirent… L’Etat n’est pas toujours de leur côté…

Et tous ces détails de l’histoire, de leurs vécus propres, rapportés de bouche à oreilles, crédibles car racontés par des connaissances, parents ou amis sont retenus par la mémoire collective, des stéréotypes, entraînant la répulsion permanente et actuelle de ce que l’on appelle «Etat »… Bref, les griefs sont nombreux vis-à-vis de l’Etat et son administration.

REY Pascal propose l’explication de l’ « iniquité consensuelle » dans un de ses articles[10], pour expliquer la relative stabilité des communautés, dans des relations d’autorité inéquitables. Mais les paysans se disent en fin de compte : « Atody tsy miady amam-bato ». Faute de pouvoir convaincre, contrer les représentants de l’Etat et ces citadins envoyés comme « iraka » chez eux, pour « apporter/susciter le développement », ils simulent des « participations », des « ralliements » aux exercices et options proposés, aux décisions prises. Ils applaudissent là où les « iraka » requièrent des applaudissements, certains acceptent de jouer les rôles des « partisans zélés » quand il le faut… C’est une gestion des risques de rétorsion vis-à-vis de la communauté et des individus qui la composent. Néanmoins, leurs milieux nourrissent encore plus de ressentiments, plus d’aversion/alahelo que de reconnaissances vis-à-vis des fanjakana… Elles réagissent dans la mesure de leurs possibilités pour éviter l’Etat, pour éviter ses représentations, ses services…La stratégie d’évitement est usitée dans la mesure du possible, pour se référer aux dina communautaires, aux engagements oraux, sans aucune signature autant que faire se peut. Certains éléments de ces milieux ont recours à l’Etat, ses représentations, ses services, quand ils n’ont plus d’autres recours…(et encore !)

1906 à Ambositra. A voir l'habitat, le niveau technique, ...le temps d'est-il arrêté ?

Généralement, ceux qui ont recours à l’Etat, ses représentations, ses services sont en général, ceux qui ont été rompus (voafolaka), formés (voavolavola) dans « les moules » de l’Etat (écoles, collèges, lycées, universités…), la règle tacite est que les affaires communautaires se règlent en communauté c’est l’« ady gasy ». A apprécier cette dernière phrase, l’Etat est donc encore « un cheveu dans la soupe » des communautés.

Aussi, les questions qui pourraient se poser sont elles, à voir tous les acteurs évoluant dans les « territoires » :

Sur le plan des relations au sein des communautés
  • ·         A quel(s) pouvoir(s) ayant des impacts sur le développement territorial, se réfère-t-on donc dans un territoire donné à Madagascar ?
  • ·         Qui les exercent, en fait ?
  • ·         Quels sont les conséquences de l’exercice de ces pouvoirs ?
  • ·        Comment s’exercent ces pouvoirs avec leurs conséquences/impact sur le plan économique ? Et sur le plan idéologique ainsi que celui politique (i.e. gestion de la cité) ?


Sur le plan de l’économique et le social
  • ·         Quelles pourrait-être les solutions alternatives « acceptables » par les communautés, afin d’aboutir à un bien être effectif (nutrition adéquate, prévention et traitement des maladies dans des hôpitaux, scolarisation soutenue jusqu’à la 10° année dans les écoles et collèges, accessibilité facile à une eau potable, assainissement fonctionnel, logement décent…) ?
  • ·         Que peut-on proposer pour appuyer les communautés rurales afin d’améliorer leurs revenus ? Faute de capitaux au niveau de la communauté, des promoteurs privés (nationaux, internationaux) sont-ils les bienvenus ? A quelles conditions a priori (comprenant la dimension environnementale) ?
  • ·         Quelles relations améliorer, établir entre les promoteurs, les communautés, les Collectivités Territoriales Décentralisées en milieu rural ?


Sur le plan communicationnel,
  • ·         Comment se présentent les mécanismes de communication au sein de ces communautés ?
  • ·         Au-delà de la communication quotidienne, aperçue par tout « étranger » à une communauté, y-a-t-il des réseaux, des canaux efficaces de communication au sein des communautés ?
  • ·         Quels seraient les préalables pour des communications efficaces, pour le développement, dans ces communautés ? Pourquoi ?
  • ·         Par quel(s) bout(s) donc, commencer ? Comment continuer, dans le cadre de processus pour des changements/pour un meilleur être de la population ?


Sur le plan de la gouvernance,
  • ·         Quels « handicaps » accusent l’Etat et ses représentations (CTD, services publics…) au sein de la communauté ? Pourquoi une certaine non-crédibilité est-elle toujours latente ?
  • ·         Quels changements significatifs faut-il apporter pour l’Etat et ses représentations, pour acquérir la crédibilité qu’il lui faut (gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple)[11]
  •       Que faut-il améliorer de l’organisation et fonctionnement des « plateformes de concertation », des « groupes de travail » incluant pourtant « toutes les parties prenantes » tels les Conseils Communaux de Développement, les Groupes de travail pour le Développement Rural… ?

Autant de questions qui méritent, parmi tant d'autres, des réponses. On ne peut penser l'absence de l'Etat; toutefois, il est pratiquement absent sur les terrains des nombre de zones rurales : insécurité, défense des hommes et de leurs biens, services sociaux, infrastructures routières praticables toute l'année...Et ce au XXI° siècle. Pourquoi donc ?





[1] Cérémonies de bain des reliques royales dans le Boeny
[3] Voir les OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement)
[4] MICOUD  (A.).-  Patrimoine et légitimité des territoires. De la construction d’un autre espace et d’un autre temps commun  In GERBEAUX F., Utopies pour le territoire : cohérence ou complexité ? La Tour d’Aigues : Éditions de l’Aube, p. 53-78. Cité par Alexandre Moine
[5] Di Meo, 1998
[6] Quoique le territoire est selon ces auteurs, abstrait, idéel, vécu et ressenti plus que visiblement repéré
[7] A.R.M. D-364 CC
[8] Frantz FANON.- Les damnés de la terre.- Ed La découverte/Poche ; Maspero.- 1961.- p.2
[9] Voir in RAISON JOURDE (F.) – ROY (G.). -Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar: de Monja Jaona à Ratsimandrava, 1960-1975.- Karthala.- Paris.- 2010.- [490 p.], les témoignages et avis rapportés de paysans sur les gendarmes, les élus et autres administrateurs malgaches après l’indépendance…Y voir notamment les rapports du Capitaine ANDRIAMAHOLISON et du Lieutenant SOJA  , sur leur appréciations dans des rapports officiels
[10] En se référant aux communautés de Guinée maritime, dans son article intitulé Une iniquité consensuelle. Le cas des droits fonciers et de la gestion des conflits en Guinée Maritime. http://books.openedition.org/pupo/448
[11] Remarque personnelle : « Ou est-ce nous qui ramons dans « la moule des colons » en voulant faire exercer UNE démocratie ? Ou peut-on reprendre la réponse d’un paysan colombien que nous avions rencontré à Montréal, qui a répondu à la question si « la démocratie est-elle adéquate au sein de votre communauté ? » ; ce paysan colombien a répondu « la démocratie n’est peut-être pas parfaite, mais il n’y a pas mieux pour le moment »

dimanche 23 septembre 2012

Un mécanisme d'appauvrissement : le métayage


Des années, des décennies de mise en œuvre  de programmes et de projets de développement...mais la grande majorité des malgaches restent toujours aussi pauvre, dans une précarité extrême. Trop de questions se sont posées. Est-ce que les réponses données ont-elles été les bonnes ? Ou nous-mettons- nous des œillères  sur certaines facettes de notre société ? On dirait que des mécanismes, apparemment inéluctables ont été mises en place pour garder ces populations dans cet état de précarité.

Hypothèse: le métayage est un des mécanismes d’appauvrissement en milieu rural. Bien sûr que l’hypothèse est à vérifier.

En quoi consiste ce mécanisme ? C’est un deal qui se fait généralement entre un citadin, qui sans apporter ni intrants ni semences, valorise sa propriété d’une ou des rizières ; il va pouvoir bénéficier des tiers de la récolte en riziculture. Les 2/3 restants reviendront au paysan…[1]

Si en moyenne, la superficie totale des rizières exploitées par un paysan est de 30 ares, généralement, celui qui s’occupe de ces rizières (« ny olona mikarakara ny tanimbarinay ») considérées ici, se débrouille pour les semences. Généralement, il opte sur les semences «zanatany»[2], qu’il a mis de côté durant l’année rizicole passée. Il faut effectivement une période de dormance avant qu’une partie de récolte puisse devenir des semences. Les semences "zanatany" ont l'avantage de résister aux maladies virales du riz comme le "mavo lavitra"[3]; ils résistent aussi aux manques et aux excédents d'eau (caprices de la nature). Mais ces semences "zanatany", contrairement aux "semences améliorées », donnent peu en rendement[4]. Généralement aussi, ceux qui sont des paysans métayers sont des paysans sans terre. Ils leur restent peu de marge de manœuvre pour négocier leur part auprès des propriétaires. D’ailleurs, ces taux de  1/3 pour le propriétaire et 2/3 pour le paysan est une pratique léguée de génération en génération. C’est devenu un «fomba fanao» (une pratique) raccourci à « fomba» (une tradition). Aussi toucher au taux établi revient à toucher au « fomba ». Exercice assez délicate !

Etant paysan pauvre, il n’a pas ou a très peu de zébus. Donc, il n'a pas de disponibilité de fumure de parc. A moins qu’il n’en achète et qu’il y ait ceux acceptent d’en vendre…Et si le coût de la charretée lui est accessible. Si nous prenons le cas optimiste qu’il ait des zébus et de la bouse pour la "fumure de fonds", deux zébus ne produiront pas suffisamment pour les 3 parcelles de 10 ares dont il s’occupe. De cette façon et même avec la méthode du repiquage en ligne (mais avec des plants dépiqués de 1 mois et demi), ceci va donner 1800 kg de paddy et au mieux un rendement de 2 tonnes 500 à l’ha. Avec le meilleur rendement cité ci-dessus, pour les 30 ares de rizières, ceci fait 833,3 Kg de paddy. Divisons ce dernier par 3, pour avoir la part du propriétaire (277 kg) et celle du paysan (556 kg)…pour tenir l’année avec une maisonnée de 5,9 personnes[5] !!! Avec des sacs de 60kg, cela lui fait 7 sacs de riz blanchi, sans avoir retiré les semences pour l’année prochaine !!! Et encore si la saison a été clémente (raha tsara ny taona !)

Le malgache préparant son déjeuner met une demi-mesure de kapoaka par adulte (en vary maina). Calculant ainsi la ration pour 3 adultes et  3 enfants en bas âge, il prépare ainsi 1 kg de riz pour le déjeuner et autant pour le déjeuner et le dîner (vary sosoa). Aussi la part de la relative bonne récolte de 556 kg de paddy, qui fait en fait  416 kg de riz blanchi, ne tiendra pour la maisonnée que quelques 200 jours dans l'année soit 6 à 7 mois. L'autre moitié est donc à assurer autrement (salariat, migration...). On peut dire que le métayage serait un des points d’ancrage de la "mécanique d’appauvrissement". Les « mpaka vokatra » seraient un des maillons du cycle d’appauvrissement.

Nombre de citadins des hautes terres sont des propriétaires « mpaka vokatra ». Ceux qui n’en font pas partie,  connaissent peu le cas. Mais ceux qui en sont, ne relèvera jamais ce mécanisme d'appauvrissement des paysans comme on dit en malgache : « tsy hisy hanaratsy tena toa ny omby atsika » « tsy hisy hilaza tena toa ny omby atsika » ou encore « hilaza tena toa ny lolo fotsy »…

Avec ce rendement, même avec deux récoltes par an, la famille paysanne ne peut jamais faire une accumulation primitive de capital. Il a peu de chance de bénéficier de prêt bancaire ou auprès de nombre d’organismes de petits crédits, car ce sont des paysans sans terre/ sans apport ni contrepartie [6], avec toute la volonté d’achat de « zezi-bazaha » 11-22-16, d’ailleurs hors de sa portée.

Dans le besoin, le paysan se fera « saraka an-tsaha », journalier en milieu rural. Qu’est-ce ? Entre 1500 Ar et 2000 Ar la journée, café de 10h  et déjeuner à la charge de l’employeur. Que c’est si peu à côté du prix de riz blanchi sur les marchés locaux ! Mais ils s’y font, faute de mieux…Ils ne savent pas faire autre chose que de cultiver le riz. Ceux qui, d’aventure, ont pu être des assistants («manœuvre») auprès de maçons, ou encore des menuisiers ou autres charpentiers, peuvent encore se faire engager comme maçon après 3 ou 4 chantiers…[7. ]Et ce pourrait être une petite issue, mais encore [8] !!!

La « mécanique » s’acharne avec les obligations sociales et familiales ("famadihana", "famokaran-drazana", sinon des cas de décès ou autres "sakalava diso"…) Des apports financiers conséquents sont requis là-dessus, même si l’événement est célébré de la manière la plus simple possible… Le paysan  obligé de recourir à des prêts auprès d’usuriers…à des taux "inimaginables"

L’autre solution est d’envoyer une de ses filles ou garçons en bas âge, comme « mpiasa » «irakiraka», « mpanampy », « mpitaiza zaza » dans les familles des milieux citadins[9]. Or l’on sait que 99,9% des malgaches ne peuvent se payer le « luxe » de salarier un « mpanampy » au salaire minimum d’embauche établi par la loi : voilà un autre broyage de la "mécanique".

L’étau de referme donc aussi sur ces enfants : déscolarisation, travaux d’enfant de moins de 15 ans…etc[10]. Adolescentes, très peu scolarisées, celles-là peuvent également tomber enceintes de leur petit ami, en ville. Et le cycle se referme…Une autre génération s’en viendra dans les mêmes conditions… sans espoir de passer dans les mécanismes d’enrichissement, que peu de gens partagent en plus…
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[1] Ceci cadre donc au métayage au tiers. Il est dénommé « teloana ». Mais il y a aussi une autre fraction à la demie (misasaka). C’est le « teloana » qui est le plus courant sur les hautes terres de Madagascar.

[2] Semences rustiques

[3] Le Rice Yellow Mottle Virus ou RYMV, parmi les maladies virales identifiées. Là, il faudrait carrément bruler le peu de récolte qui en provient.

[4] Selon les paysans, les semences améliorées sont trop fragiles face aux maladies virales…et aux intempéries. Avec les avancées des recherches, y-aurait-il des semences plus résistantes ? On ne peut non plus piquer des semences parmi sa production propre ; il faudrait en racheter la saison suivante !

[5] Généralement, il y aurait toujours un dadabe ou/et une nenibe ou/et encore un dadatoa à la charge d’une famille, sinon des neveux/nièces, considérés comme des « zanaka tsy omby kibo » ou encore une sœur qui est parmi les « loloha »

[6] Il est encore acquis que la plupart des IMF (Institutions de micro finance) ne considèrent pas les certificats fonciers délivrés par les guichets fonciers. Jusqu’à quand ?

[7] Selon le maître maçon, les « manœuvres » peuvent à un certain moment, manipuler truelles, fil à plomb, niveau à eau… et apprendre les rudiments du métier…

[8] La plupart dans la communauté construisent eux-mêmes leur maison en pisée. Ce sont ceux qui fréquentent surtout les « riches », qui peuvent décrocher des chantiers de ce genre…travaillant les briques cuites et les fondations en moellons, en se faisant recommander par telle ou telle personne.

[9] Avec la crise en cours (2009-2012), « un tiers des enfants déclare ne plus aller à l’école depuis cette année, essentiellement parce qu’ils doivent travailler pour aider leur famille » http://www.aide-et-action.org/ewb_pages/a/actu4140.php

[10] Généralement, les « mpanampy » en bas âge, ne perçoivent pas leur salaire. Les parents viennent en ville pour s’en emparer, en vue d’aider la famille. Au moins, celle qui est « mpanampy » chez les autres est une bouche en moins à nourrir. Et ce souvent, sachant que les lois interdisent ces pratiques…

vendredi 13 juillet 2012

Conditions des enfants : Maria Katisoa


"Ny zanaka hono toy ny tanan'akanjo, atsipy, eo an-damosina
asavily, eo an-damosina ihany"
Proverbe malgache 
Litt.,: les enfants sont comme les manches d'habit,
qu'on les lance ou qu'on les jette, ils sont toujours sur votre dos)

              Les enfants...Nous en avons, nous en voyons tous les jours. Le spectacle matinal souvent relevé (ou intégré dans notre quotidien) que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural est le départ des enfants pour l'école...Mais les conditions sont tellement différentes...que ceci se  répercute aussi généralement sur la qualité des établissements (beauté et entretien des bâtiments, qualité des mobiliers et salles de classe, exigence de qualité des enseignants et de l'enseignement...)


              Cette chanson de Lolo sy ny tariny, composée vers le début des années socialistes (1978-1980), nous ramène à des situations qui apparemment sont immuables : en 30 ans, la situation est quasi la même, pour ne pas dire qu'elle a empiré... 


              "Maria katisoa" (1): une petite fille, entre 8 et 10 ans [?] ("zaza bodo, tsy hary nono", litt., innocente petite encore non pubère), "nefa efa matotra firesaka" (litt., pourtant toute mûre dans ses conversations) (2).  Elle réside dans un quartier pauvre, périphérique de la ville (Andohantapenaka est à limité de la Commune Urbaine d'Antananarivo; si l'on traverse l'Ikopa, affluent de la Betsiboka, par le pont, l'on passe dans la Commune rurale d'Andranonahoatra). Maria se lève tôt (5 heures) pour se mettre à la queue pour l'attente du kilo de riz quotidien...au bureau du fokontany (3). D'un père, ivrogne à l'hydromel (alcool frelaté, consommé dans les  quartiers pauvres: de l'alcool à bruler, bon marché à ces moments, car volé dans les établissements hospitaliers, et coupé avec un peu d'eau) et d'une mère prostituée...dans une maisonnée composée de 10 personnes. Quelle description dans ce texte ! Il a été tabou de parler de cette réalité  traduite dans ce texte, à l'époque !!!





              Maria n'a pas le coeur à rejoindre l'école, mais elle essaie tout de même de se remémorer des leçons de TAJEFI (4) (Tantara Jeografia sy Fitaizana ara-piarahamonina), dénomination malgachisée à ces moments de la matière intégrant histoire, géographie et éducation civique) et les leçons de KAJY (calcul) "Roa ampiana iray mira telo", (litt., Deux plus un font trois) et ... l'autre problème crucial : comment départager un kilo de riz pour les dix personnes de sa maisonnée ?... Pas facile quand on est petit et quand on a le ventre creux ! Toutefois, les maîtresses, dans leur pédagogie surannée, sévissent physiquement... ("lako > "lakoana"  = sévir physiquement) et que d'autant plus, que Maria va certainement somnoler en classe, avec ce réveil obligé de si bon matin. Aussi l'interpellation s'en vient "Aza lakoana izy madama, ny fiainany no sarotra !"(litt., épargnez-la, madame de vos sévices, sa vie est si difficile !).

              Les performances scolaires sont de fait, médiocres...Ce n'est pas seulement pour Maria, mais aussi pour les enfants de sa génération...: "Donto ny ankizy ankehitriny" et "Simba ny ankizy ankehitriny" (les enfants actuels sont peu réactifs, et les enfants actuels sont sacrifiés", à qui peut on rejeter la faute ? Quel avenir pour ces enfants ? (5)

              La situation n'a pas changé en mieux. Malheureusement, elle empire...

          Ceci vous est soumis, pour la perspicacité et la justesse du texte...pour dénoncer (déjà en 1978/1980) cette révoltante situation. 

          Les techniques pédagogiques sont à revoir, mais le contexte général d'appauvrissement de la population est aussi à traiter urgemment. Les mesures mises en oeuvre sont à renforcer : micro-crédit et appui à l'auto-emploi pour les parents (OTIV, CECAM, APEM...) formations professionnelles et placements dans des emplois (CEFOR...) mais ils sont encore circonscrits dans quelques centres urbains... Les efforts pour la scolarisation des enfants sont aussi là... Comment les retenir à l'école au delà des trois premières années de scolarisation, après lesquelles 60% d'entre eux, sortent du circuit scolaire ? (scolarisation obligatoire, cantine scolaire gratuite, accompagnement des parents...)

              Une véritable confection d'une politique éducative est urgente...Une politique confectionnée et défendue par les associations des parents d'élèves, celle qui ne changera pas avec la "valse des ministres de l'éducation nationale...

              En complément, au niveau local (fokontany et Commune), la définition de la politique communale de l'éducation devrait se faire...Elle doit être non pas confectionnée et décidée par des "panels de représentants", mais découle de réelles consultations publiques, Cette politique communale de l'éducation sera financée à terme, en partie par la Commune et en grande partie par l'Etat : les allocations financières devraient être assez conséquentes...


              "Maria Katisoa", un chef d'oeuvre parmi les chansons engagées malgaches. Tsy tontan'ny ela [malgré le temps, ce qu'il décrit est encore d'actualité...]...Les Maria Katisoa nous interpellent !!!

MARIA KATISOA

Miala any ary i Maria Katisoa
Monina ao Andohatampenaka
Zaza bodo, tsy hary nono
Nefa efa matotra firesaka

Niova ny ankizy ankehitriny
Fohazina alohan’ny amin’ny dimy
Mianatra kilalao vao
Mandahatra haron-kely
Eny ambaravaran’ny birao
Fokontany ireny

Kala Maria,
Maria Katisoa,
Ankizy ankehitriny ihany koa

Kala Maria,
Maria Katisoa,
Hanangana ny hoaviny (amin’inona moa)x2?

Miala any ary i Maria Katisoa
Kamokamo hamonjy lakilasy
Fa misafoto ao an-doha
Ny TAJEFY sy ny KAJY

Donto ny ankizy ankehitriny
An’iza moa ny tsiny
Raha tohizany hatrany am-pianarana
Ny torimaso tapaka
Aza lakoana izy madama
Ny fiainany no sarotra

Maty anie aho
Kala Maria,
Maria Katisoa,
Ankizy ankehitriny ihany koa

Kala Maria,
Maria Katisoa,
Hanangana ny hoaviny (amin’inona moa)x2?

Iny izy mitazana an’Ikopa
Mandeha mankany Betsiboka
Toa mandeha ra..

Miala any ary i Maria Katisoa
Roa ampiana iray mira telo
Fa ny mamaky ny loha
Vary iray kilao zaraina folo

Simba ny ankizy ankehitriny
Vesarin’ny fianakaviany
Ny ray andevozin’ny dirômelina
Matory anaty tatatra
Ny Reny mivaro-tena izay vao velona
Ny fiainany no sarotra

Maty anie aho
Kala Maria,
Maria Katisoa,
Ankizy ankehitriny ihany koa

Kala Maria,
Maria Katisoa,
Hanangana ny hoaviny (amin’inona moa)x2?

Iny izy mitazana an’Ikopa
Mandeha mankany Betsiboka
Toa mandeha ra..
MARIA KATISOA

Là voilà,  Maria Katisoa
Résidente d’ Andohatampenaka
Une innocente petite encore non pubère,
pourtant toute mûre dans ses conversations

Les enfants actuels ont changé (de rythme)
On les réveille avant 5 heures du matin
Pour apprendre de nouveaux jeux:
Mettre à la file de petites soubiques
Devant les bureaux
De ces fokontany

La Maria,
Maria Katisoa,
Est aussi un de ces enfants actuels

La Maria,
Maria Katisoa,
Avec quoi va-t-elle bâtir son avenir ?

Là voilà,  Maria Katisoa
Elle ne veut pas trop aller à l’école
Car se bousculent dans sa tête 
le TAJEFY et les calculs

Les enfants actuels sont peu réactifs
A qui va-t-on rejeter la faute 
S’ils reprennent, dans les salles de classe,
Leur sommeil dérangé ?
Ne la battez pas, madame (la maîtresse d'école)
Que sa vie est si difficile !

Zut,
La Maria,
Maria Katisoa,
Est aussi un de ces enfants actuels

La Maria,
Maria Katisoa,
Avec quoi va-t-elle bâtir son avenir ?

Là voilà, fixant du regard le fleuve Ikopa
Qui va se déverser vers la Betsiboka
D’une eau plutôt sanguine..

La voilà, la Maria Katisoa
Deux plus un font trois
Mais son grand problème est
Comment partager un kilo de riz en dix parts..

Les enfants actuels sont sacrifiés
Sous le poids de leur famille
Un père, esclave de l’hydromel
Dormant (toujours) dans les caniveaux
et une mère, qui se prostitue pour survivre
Que sa vie est si difficile !

Zut,
La Maria,
Maria Katisoa,
Est aussi un de ces enfants actuels

La Maria,
Maria Katisoa,
Avec quoi va-t-elle bâtir son avenir ?

Là voilà, fixant du regard le fleuve Ikopa
Allant se déverser vers la Betsiboka
D’une eau plutôt sanguine..

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(1) Katisoa : malgachisation de « quat’sous », un clin d’œil à Berthold Brecht et son « opéra de quat’sous »
Andohantapenaka est parmi les quartiers de transition des ruraux fraîchement établis en ville. Je me rappelle des remarques apportées par les responsables du CDA  (Centre de Développement d’Andohantapenaka) de la volatilité de la population qui y réside. Les premières installations des nouveaux migrants sont dans ce quartier, location d’une seule pièce, quelque soit le nombre de personnes à loger. Mais si la moyenne du nombre de personnes par ménage est de 5,9, le nombre 10, ici citée, n’est pas impossible, car la famille s’occupe toujours d’un grand-père et/ou d’une grand-mère, et/ou d’un oncle et/ou d’un neveu ou nièce… Lorsque l’on arrive à avoir des revenus relativement stables (petits commerces ou engagement comme salariés), des déménagements dans vers les quartiers de travail s’imposent… Et l'on quitte Andohantapenaka. Peut-on supposer que la famille de Maria est encore dans des recherches de cette stabilité ? Ou peut-on supposer la précarité des revenus provenant de la prostitution de la mère ?...
(2) La puberté est toujours signe de passage à la vie adulte pour les malgaches (miala sakana/ efa lehibe) ; pour Maria, c’est déjà la prise de responsabilités adultes avant l’heure (sans toutefois abandonner son cursus scolaire)
(3) Vers les années 78/80, il a été assigné aux fokontany de se charger de la vente des sacs de riz, attribués à sa population résidente. La pénurie a été telle que tous les jours il a fallu se mettre à la queue pour obtenir sa « ration ». Faute de pouvoir attendre devant le bureau de fokontany toute la matinée, ce sont les soubiques que l’on met à la queue leu leu, reprises par leur propriétaire lorsque le quota est ramené par charrette au bureau du fokontany
(4)Un des slogans de l’Etat socialiste a été « ankizy ankehitriny, mpanangana ny ho avy » (les enfants d’aujourd’hui sont les bâtisseurs de demain)
(5) La « malgachisation » menée en ces temps soit a repris des mots usités dans les variantes dialectales des régions, soit de mots créés comme le « takamoa » pour l’ampoule électrique, les « varingarina » pour cylindre, « mirazotra » pour parallèles…pour ne citer que ceux-là . TAJEFI a été l’une des créations de ces temps : acronyme de TAntara – JEografia – FIaraha-monina, dénomination délaissée à partir de 1992…