Les aléas de la vie, santé, autres travaux se présentant comme opportunités, nous ont en fait handicapé dans un partage régulier de nos idées, réflexions diverses. Nous nous réjouissons tant pourtant pour les feed back encourageants des amis lecteurs, pour nos articles. Nous en sommes reconnaissant. Mais ce n'est pas pour autant que les productions ont arrêtés. Nous vous en partageons déjà une. Bonne lecture
En fait, en nous référant sur une des études de MOINE Alexandre, le territoire est une matérialisation de l’étendue d’un pouvoir[4], c’est le témoin d’une appropriation à la fois économique, idéologique et politique de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité[5], c’est un espace social, un espace vécu[6]
Parmi les "élites" formés par la colonisation:
des médecins et des enseignants
Une étude que nous avions menée sur
« les stratégies et politiques de développement territorial » dans
l’histoire de deux ou trois derniers siècles à Madagascar a rapporté notamment
des exemples des bases historico- anthropologiques de la gestion des
territoires à Madagascar. Les faits historiques rapportés, certes partielles
mais couvrant des faits avérés notamment sur une grande partie de l’île, ont
fourni des explications sur les processus de gestion des différents
« territoires » avec les rôles
tenus par les différents acteurs.
Cette première
étude, en se référant notamment aux études anthropologiques, historiques et
géographiques récentes, telles celles des FAUROUX, BARE, GOEDEFROIT,
CONDOMINAS, LOMBARD, ESOAVELOMANDROSO, MARIKANDIA Mansaré, KOTO, RAISON-JOURDE,
BALLARIN, RAKOTO RAMIARANTSOA, M et Mme RABEARIMANANA, DOUESSIN …nous a aussi
offert non seulement des « photographies» sur les relations sociales
établies, avec les rôles de ces acteurs dans un passé récent: les « hazomanga », les « ombiasa », les « mpanarivo », les « mpiavy », les « ziva », les « ampanjaka » ou autres «ndrenony »… Ces personnalités
essentielles dans les communautés tiennent encore leurs places, jouent encore
leurs rôles dans ces communautés. Des pratiques et des conceptions (du monde,
des relations interpersonnelles et inter-groupes) ont toujours cours… Sur
l’importance des conceptions et structures « traditionnelles »,
citons en particulier, l’interpellation à Mahajanga de El Hadj SOUDJAY Bachir
Adehame, historien et néanmoins académicien « le développement du Boeny ne
peut se faire sans le fanompoambe[1] !»,
ou encore la remarque de l’humoriste Goetlib, dans une pointe d’humour, mais
remarque non moins sérieuse, lors d’une émission sur RDJ énonçant « revenons à notre orientalité ! »[2]
Au-delà de ces
considérations, l’histoire a démontré que généralement, les communautés ont
essayé de refuser (avec bonheur ou non selon les cas) les immixtions
extérieures à elles, à leurs organisations propres. Que ce soit l’expansion des
autres clans ou autres chefferies et royaumes co-existants, les acceptations,
les « allégeances » ont souvent stabilisé les relations au sein des
communautés par des cérémonies traditionnelles notamment les fatidrà et les alliances matrimoniales.
La colonisation française et son administration n’ont pas été acceptées, en
général, sauf dans les royaumes du nord dont la recherche de protection auprès
des français avant l’expansion du « Royaume de Madagascar ». Pour
déduire que les incursions des « étrangers » ont été presque toujours
rejetées.
En tout cas, le
constat est frappant et sans équivoque : A part les grandes
transformations/ aménagements des temps des grands souverains, de ceux des
autorités coloniales, des grands projets menés force d’aides financières et
techniques de la coopération internationale, de crédits contractés par l’Etat
auprès des Institutions de Bretton-Woods…, les constructions et réalisations
des ONG locales ou/et étrangères,
relativement peu de cas montrent des changements significatifs dans
l’espace vécu de la majorité des malgaches, des ruraux particulièrement.
Certes, des avancées sont perceptibles sur quelques sites, mais celles-là sont
relativement isolées, notamment dans l’habitat, dans l’accès à l’eau potable,
dans l’assainissement, l’accès à la prévention des maladies et des soins de
santé, dans l’éducation scolaire, dans les techniques de production et
d’élevage…dans les échanges. Or dans le monde actuel, ces changements attendus,
sont des « références » indéniables, « acquises » pour apprécier
ce que c’est le développement…[3],
la « réduction de la pauvreté ».
Ces communautés
n’ont pas vécu en vase clos. D’une manière ou d’une autre des
« éléments extérieurs » ont établi des relations avec
elles : les « mpiavy »,
les « ziva », les «mpifatidrà », les « vazaha », les « fonctionnaires », les « kinanga », les
«développeurs», les « projets », les « karana » et autres « sinoa » dans le commerce, les
[petits et grands] colons, les sociétés internationales…
Mais la
pauvreté, citée et reconnue dans les communautés semble être aussi
permanente. Quelles sont donc les rôles
joués par ces différents acteurs dans cette situation ? Quelles relations entre ces acteurs, auraient été les « blocages », les « contraintes ».
Qu’est-ce qui auraient « flanché », quelles auraient été les
« maladresses », malgré les différents programmes de
développement organisationnel et institutionnel, de développement des
capacités, les capacitations de groupes … menés depuis plusieurs
décennies ?
En fait, en nous référant sur une des études de MOINE Alexandre, le territoire est une matérialisation de l’étendue d’un pouvoir[4], c’est le témoin d’une appropriation à la fois économique, idéologique et politique de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité[5], c’est un espace social, un espace vécu[6]
Toutefois, une
première conclusion (est-ce hâtive ?) peut être tirée des situations
passées et présentes en ce qui concerne les milieux ruraux et les milieux qui
ont refusé les « procédés d’assimilation » des
« étrangers » : l’Etat,
quelque soit sa forme de représentation, est plus rejeté qu’accepté, d’une
manière comme une autre, par ces milieux.
Les raisons de
ce rejet peuvent être retrouvées dans les pratiques adoptées par les différents
« représentants » successifs de ces « fanjakana», dans l’histoire vécue de ces communautés. Citons en exemple:
- la fuite/exode des antanosy suite à leur défaite face à l’installation du Gouverneur merina Ramananolona XI Voninahitra, cousin du roi Radama 1er dans l’Anosy ;
- · les ressentiments des sakalava vis-à-vis de l’Etat hova (puis de l’Etat colonial), à cause des mesures de confiscation des reliques royales « fitahia » ou le symbole «hazomanga vy », très importants de la dynastie Volafotsy ;
- · le rapt et exécutions de princes masikoro par l’Etat monarchique merina malgré le fatidrà contracté par Tompoemana avec le Prince Ramahatra ;
- · l’assassinat par le Commandant Gérard de l’armée coloniale, de Ampanjaka Toera et le massacre de la population à Ambike, le 29 et 30 août 1897, durant la colonisation ;
- · les confiscations des terres communautaires, par les colons français à l’instar de ce que rapportait Nicolas PESLE à Belamoty, village tanosy de l’Onilahy ;
- · les exactions pour le paiement des impôts de capitation et les impôts sur les bovidés, les travaux forcés et « 30 andro » imposés par l’Etat colonial ;
- · le SMOTIG (Service de la Main d’œuvre pour les Travaux d’Intérêt Général), fixé par décret du 3 juin 1926, créé par le gouverneur général Marcel Olivier en vue de procurer la main-d'œuvre aux travaux publics. Il impose aux jeunes Malgaches une période de trois ans, puis deux ans, de travail forcé. (…) Les travaux imposés sont extrêmement pénibles. les répressions, tueries et exécutions sommaires durant les événements de 1947 ;
- · les gardes à vue/ détentions administratives pour les présumés coupables avant jugements des tribunaux ;
- · les emprisonnements et exils effectifs soit après des jugements de tribunaux injustes, soit suite à des délations sans fondements (« toroka » et/ou «tondro-molotra ») …
- · les rafles de travailleurs effectuées dans la province de Moramanga tout au long des années 1917 à 1920 pour la construction du chemin de fer M.L.A. (Moramanga - lac Alaotra), dans les régions d'Antsirabe et Betafo, les gens d'abord réquisitionnés en mai-juin 1919 comme porteurs pour 2 voyages de Betafo à Miandrivazo, puis expédiés de force sur les chantiers de route et de reboisement sur le domaine forestier du chemin de fer, ce sont des corvées dénommées « les 30 jours », bien qu'elles aient duré en moyenne de 40 à 60 jours (au moment où les susdits cultivateurs se préparaient à labourer leurs rizières...). Un grand nombre furent expédiés aux chantiers de chemin de fer où la plupart restèrent 60 à 80 jours ". (…) sinon d’autres auraient fait ainsi 150 jours de corvée en 1919, pour des salaires dérisoires[7].
·
Mais il y eut aussi
- les conscriptions des jeunes gens pour l’armée ;
- · toutes les gabegies, abus de pouvoir, cas de népotismes, concussions et corruptions,
- · les trafics illégaux et illicites avérés mais pratiqués au grand jour ;
- · l’impunité dont jouissent des «autorités », leurs familles et proches parents ou amis…
A
l’indépendance, en 1960, les attentes ont été grandioses, libérés de cette
période coloniale, douloureuse. Frantz Fanon s’est bien fait le porte-voix des
paysans quand il a décrit (le colonisé, notamment ceux admis dans
l’administration): « Le regard du
colonisé sur la ville du colon est un regard de luxure, un regard d’envie.
Rêves de possession. Tous les modes de possession : s’asseoir à la table
du colon, coucher dans le lit du colon, avec la femme si possible [8]». Voir
ainsi les nouvelles autorités de Madagascar indépendant, qui ont repris en
grande partie, les méthodes des colons, à la place des colons, avec les airs
des colons, les répressions et exactions des colons…comme ils les ont appris
d’ailleurs dans les écoles des colons[9]….
Et les années
72-75, les années 91, les années 2002, les années 2009 ont toujours été celles
des attentes pour un meilleur bien-être mais apparemment, les situations
empirent… L’Etat n’est pas toujours de leur côté…
Et tous ces
détails de l’histoire, de leurs vécus propres, rapportés de bouche à oreilles,
crédibles car racontés par des connaissances, parents ou amis sont retenus par
la mémoire collective, des stéréotypes, entraînant la répulsion permanente et
actuelle de ce que l’on appelle «Etat »… Bref, les griefs sont nombreux
vis-à-vis de l’Etat et son administration.
REY Pascal
propose l’explication de l’ « iniquité consensuelle » dans un de ses
articles[10], pour
expliquer la relative stabilité des communautés, dans des relations d’autorité
inéquitables. Mais les paysans se disent en fin de compte : « Atody tsy miady amam-bato ». Faute
de pouvoir convaincre, contrer les représentants de l’Etat et ces citadins
envoyés comme « iraka » chez eux, pour « apporter/susciter le
développement », ils simulent des « participations », des
« ralliements » aux exercices et options proposés, aux décisions
prises. Ils applaudissent là où les « iraka » requièrent des
applaudissements, certains acceptent de jouer les rôles des
« partisans zélés » quand il le faut… C’est une gestion des
risques de rétorsion vis-à-vis de la communauté et des individus qui la composent. Néanmoins, leurs milieux nourrissent encore plus de
ressentiments, plus d’aversion/alahelo
que de reconnaissances vis-à-vis des fanjakana…
Elles réagissent dans la mesure de leurs possibilités pour éviter l’Etat, pour éviter
ses représentations, ses services…La stratégie d’évitement est usitée dans
la mesure du possible, pour se référer aux dina
communautaires, aux engagements oraux, sans aucune signature autant que faire
se peut. Certains éléments de ces milieux ont recours à l’Etat, ses
représentations, ses services, quand ils n’ont plus d’autres recours…(et
encore !)
1906 à Ambositra. A voir l'habitat, le niveau technique, ...le temps d'est-il arrêté ?
Généralement,
ceux qui ont recours à l’Etat, ses représentations, ses services sont en
général, ceux qui ont été rompus (voafolaka),
formés (voavolavola) dans « les
moules » de l’Etat (écoles, collèges, lycées, universités…), la règle
tacite est que les affaires
communautaires se règlent en communauté c’est l’« ady gasy ». A apprécier cette dernière phrase, l’Etat est donc
encore « un cheveu dans la soupe » des communautés.
Aussi, les questions qui pourraient se poser sont
elles, à voir tous les acteurs évoluant dans les
« territoires » :
Sur le plan des relations au sein des communautés
- · A quel(s) pouvoir(s) ayant des impacts sur le développement territorial, se réfère-t-on donc dans un territoire donné à Madagascar ?
- · Qui les exercent, en fait ?
- · Quels sont les conséquences de l’exercice de ces pouvoirs ?
- · Comment s’exercent ces pouvoirs avec leurs conséquences/impact sur le plan économique ? Et sur le plan idéologique ainsi que celui politique (i.e. gestion de la cité) ?
Sur le plan de l’économique et le social
- · Quelles pourrait-être les solutions alternatives « acceptables » par les communautés, afin d’aboutir à un bien être effectif (nutrition adéquate, prévention et traitement des maladies dans des hôpitaux, scolarisation soutenue jusqu’à la 10° année dans les écoles et collèges, accessibilité facile à une eau potable, assainissement fonctionnel, logement décent…) ?
- · Que peut-on proposer pour appuyer les communautés rurales afin d’améliorer leurs revenus ? Faute de capitaux au niveau de la communauté, des promoteurs privés (nationaux, internationaux) sont-ils les bienvenus ? A quelles conditions a priori (comprenant la dimension environnementale) ?
- · Quelles relations améliorer, établir entre les promoteurs, les communautés, les Collectivités Territoriales Décentralisées en milieu rural ?
Sur le plan communicationnel,
- · Comment se présentent les mécanismes de communication au sein de ces communautés ?
- · Au-delà de la communication quotidienne, aperçue par tout « étranger » à une communauté, y-a-t-il des réseaux, des canaux efficaces de communication au sein des communautés ?
- · Quels seraient les préalables pour des communications efficaces, pour le développement, dans ces communautés ? Pourquoi ?
- · Par quel(s) bout(s) donc, commencer ? Comment continuer, dans le cadre de processus pour des changements/pour un meilleur être de la population ?
Sur le plan de la gouvernance,
- · Quels « handicaps » accusent l’Etat et ses représentations (CTD, services publics…) au sein de la communauté ? Pourquoi une certaine non-crédibilité est-elle toujours latente ?
- · Quels changements significatifs faut-il apporter pour l’Etat et ses représentations, pour acquérir la crédibilité qu’il lui faut (gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple)[11]
- Que faut-il améliorer de l’organisation et fonctionnement des « plateformes de concertation », des « groupes de travail » incluant pourtant « toutes les parties prenantes » tels les Conseils Communaux de Développement, les Groupes de travail pour le Développement Rural… ?
Autant de questions qui méritent, parmi tant d'autres, des réponses. On ne peut penser l'absence de l'Etat; toutefois, il est pratiquement absent sur les terrains des nombre de zones rurales : insécurité, défense des hommes et de leurs biens, services sociaux, infrastructures routières praticables toute l'année...Et ce au XXI° siècle. Pourquoi donc ?
[1]
Cérémonies de bain des reliques royales dans le Boeny
[3] Voir les
OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement)
[4]
MICOUD (A.).- Patrimoine et légitimité des
territoires. De la construction d’un autre espace et d’un autre temps commun
In GERBEAUX F., Utopies pour le
territoire : cohérence ou complexité ? La Tour d’Aigues : Éditions de l’Aube,
p. 53-78. Cité par Alexandre Moine
[5] Di Meo,
1998
[6] Quoique
le territoire est selon ces auteurs, abstrait, idéel, vécu et ressenti plus que
visiblement repéré
[7] A.R.M. D-364 CC
[8] Frantz FANON.- Les damnés de la terre.- Ed La
découverte/Poche ; Maspero.- 1961.- p.2
[9]
Voir in RAISON JOURDE (F.) – ROY (G.). -Paysans,
intellectuels et populisme à Madagascar: de Monja Jaona à Ratsimandrava,
1960-1975.- Karthala.- Paris.- 2010.- [490 p.], les témoignages et avis
rapportés de paysans sur les gendarmes, les élus et autres administrateurs
malgaches après l’indépendance…Y voir notamment les rapports du Capitaine
ANDRIAMAHOLISON et du Lieutenant SOJA ,
sur leur appréciations dans des rapports officiels
[10] En se
référant aux communautés de Guinée maritime, dans son article intitulé Une iniquité consensuelle. Le cas des
droits fonciers et de la gestion des conflits en Guinée Maritime. http://books.openedition.org/pupo/448
[11]
Remarque personnelle : « Ou est-ce nous qui ramons dans « la moule des colons » en voulant faire
exercer UNE démocratie ? Ou peut-on reprendre la réponse d’un paysan colombien
que nous avions rencontré à Montréal, qui a répondu à la question si « la
démocratie est-elle adéquate au sein de votre communauté ? » ; ce paysan
colombien a répondu « la démocratie
n’est peut-être pas parfaite, mais il n’y a pas mieux pour le moment »